E63 - Doute et certitude

On trouve dans de nombreuses trames "il aurait certainement...", "elle sera sans doute...", "il est évident que...", etc.

Le lecteur voyage donc de certitudes en certitudes voire en désillusions jusqu'à ce que l'engrenage final accepte enfin de tourner.

Les doutes, cependant, sont une arme de destruction massive. L'Homme est un être pensant et le doute fait partie de son quotidien. S'il recherche des certitudes, ce ne sont pas elles qui l'animent, mais bien ses propres doutes. Les personnages qui ne doutent pas sont généralement des exécutants de sang froid, des commandeurs, des ombres perchées dont un mouvement de phalange enjoint une colonie de serviteurs de tous bords à lancer une offensive. Les personnages qui ne doutent pas évoluent rarement et s'ils le font c'est généralement mal cadré, voire cela se termine en comédie pour série B.

Si vous avez donc le choix entre une certitude et un doute, maniez les certitudes avec soin ... entretenir le doute, c'est surtout cela qui pousse à la lecture : la lecture d'un Agatha Christie suffit pour s'en convaincre. Ainsi donc, plutôt que de dire "S'il avait fait cela, on l'aurait certainement démasqué", il est plus habile d'écrire "Cela fait, on l'eût démasqué" car rien n'est moins certain en fin de compte, n'est-ce pas ? Et tout à coup, ce "on" prend une dimension aux portes du mystique, un nuage sombre à l'oeuvre dont on soupconne le pouvoir sans deviner ses intentions et sa présence : voilà ce que ce petit subjonctif introduira ; il faut avouer que c'est mieux qu'une certitude qui plaque une vérité en forme de contrainte.

Autre manière de s'en convaincre : lire un Stephen King. Son écriture manie le doute comme d'un matériau, tout respire l'incertitude dans ces lignes faites pour vous enfermer dans une certitude : celle que vous ne savez pas ce qui va arriver, quand cela va arriver avec la seule certitude que cela surprendra ... pour le pire.

Le doute s'applique à tous les genres. Les récits les plus remarqués sont souvent des récits de guerre par exemple, non pas parce qu'ils mettent en oeuvre la cruauté humaine - cette créatrice infatigable - mais bien en premier lieu parce que tout dans un conflit se base sur la recherche des certitudes. Inscrivez ces certitudes au sein d'un plan macabre, que reste-t-il ? Des doutes ... n'en doutez pas !